Ça y est, nous sommes devenus des greenwasheurs !!

Celles et ceux qui nous suivent le savent, nous travaillons sérieusement sur notre concept de polyactivité choisie depuis maintenant trois ans. L’idée est de concilier plusieurs activités professionnelles, par exemple un mi-temps dans les bureaux et un mi-temps à la ferme. Avec ce bagage, nous allons bientôt lancer notre troisième expérimentation bénévole et notre première expérimentation rémunérée.
C’est souvent lorsque l’on parle d’agent que les problèmes se compliquent. Si nous étions restés dans une logique bénévole nous aurions eu beaucoup moins de discussions. Et c’est également vrai pour les organisations qui sont impliquées.
Notre initiative a quasiment toujours été accueillie de manière bienveillante, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans les quelques événements pendant lesquels nous avons présenté notre expérimentation. A partir du moment où nous avons commencé à avoir un membre prestataire pour développer l’idée, déjà nous étions sorti d’une logique uniquement bénévole. Cela a, de fait, donné une dimension tout autre à notre seconde expérimentation et à la dynamique globale en nous faisant sortir d’une « simple » expérimentation éphémère. 

Pourquoi sortir du bénévolat ? A quelle niveau rémunérer Frédéric qui s’engage à temps partiel pour l’association ? Quelles relations changeront avec les bénévoles ?

Nous n’avions pas les réponses à ces questions, nous avons ici aussi expérimenté comme tant d’autres associations. Et cela c’est assez bien passé pour que nous décidions d’augmenter le temps de travail de Frédéric. Nous pouvions passer à l’étape qui nous tenais à cœur : l’expérimentation de la polyactivité choisie et rémunérée. En effet, pour diffuser plus largement cette possibilité, passer par une rémunération semble incontournable. 

Se posent alors de nombreuses questions sur les financements ? Car oui, si des fermes agroécologiques ne recrutent pas c’est qu’elles n’en ont pas les moyens. 

Plusieurs organismes nous ont fait part de leur réticence à contribuer à la rémunération des journées des polyactifs à la ferme :

  • « C’est à l’agriculteur de changer son modèle d’affaire s’il n’est pas rentable »,
  • « Beaucoup de fermes sont très mal gérées car les agriculteur-rices, se concentrent trop sur les cultures et pas sur la gestion, la vente, la logistique, la communication… »

Avec la vingtaine de fermes déjà partenaires de l’association, nous ne partageons pas ce constat. Il n’y pas de problème de gestion (pas plus qu’ailleurs en tout cas). Il y a une concurrence déloyale entre le petit (favorisant de fait la polyculture) et le gros (les aides de la PAC sont fonction de la taille de la ferme…), entre l’agroécologie favorisant la biodiversité (« les abeilles n’ont pas de carte bleue » selon T. Parrique) et le conventionnel (quand comptabiliserons nous la pollution des eaux par les pesticides et les GES de la productions des engrais de synthèse dans l’équation ?). Et il y a bien plus légitime que notre association pour défendre cette position (1). 

Il n’est donc pas possible qu’elles payent la totalité du salaire. Cela aurait d’ailleurs peu de sens, car nous pensons que les entreprises doivent participer à l’effort agricole, tout comme elles participent à des programmes immobiliers avec le 1% logement par exemple. L’idée étant toujours de transformer l’industrie au sens large et de remettre des agriculteurs dans des champs sains. 

Nous avons donc l’idée de partager le salaire du ou de la volontaire en 4 parts : une part payée par l’entreprise, une part payée par la ferme, une part payée par les pouvoirs publics et le complément payé par l’association qui elle-même est financée grâce à des fondations et des particuliers.

Les pouvoirs publiques nous indiquent bien vouloir nous financer à condition d’avoir un plan pour se passer des subventions à un certain moment. En effet, les administrations sont fatiguées de voir se lancer des initiatives qui périclites une fois que les subventions diminuent ou s’arrêtent. Nos fonds n’étant pas extensibles nous avons donc dû dessiner un business plan sur 5 ans permettant de s’affranchir des subventions publiques. Et ce modèle repose sur un plus grand financement de la part des entreprises.
Cette évolution est en accord avec notre objectif global qui est de réduire la production polluante tout en s’investissant dans des secteurs vitaux (logement, alimentation, urgences sociales, santé, …). Si la première année nous demandons un petit pourcentage de salaire aux entreprises, ce pourcentage augmente au fur et à mesure des années pour atteindre 85% au bout de 5 ans. 

« Mais quel est l’intérêt pour mon entreprise ? » Voici la question récurrente des directions quand nous leur parlions du projet.

Pour être honnête, notre idée, même avant de parler d’argent, ne fait pas du tout l’unanimité auprès des directions d’entreprises. Elle fait même bien sourire certaines qui nous voient comme de joyeux et joyeuses idéalistes. Nous prenons tout cela pour des compliments. Pour les directions qui ont notre l’oreille, il faut convaincre, prouver le « retour sur investissement ».

Que dire de plus à une entreprise que de décrire notre expérimentation ?

Le fait est que son intérêt intrinsèque ne suffit pas. Et il nous pèse de le dire. Mais en effet, contribuer à une alimentation saine, contribuer à résorber la fracture entre les agriculteurs et celles et ceux qui mangent leurs productions, contribuer à une meilleure santé des sols, contribuer à un partage des tâches difficiles, ne suffit pas à convaincre. Il faudrait quelque chose en plus.

Vous connaissez l’exercice marketing du « vendez moi ce stylo », et bien vendez nous la polyactivité !

Ce qui vient à l’esprit directement est la RSE des entreprises et l’image renvoyée par l’entreprise pour être plus attractives des talents nécessaires à son fonctionnement. Mais ceci non plus ne suffit pas. Ce n’est pas une règle établie mais un constat après des dizaines de contacts pris.

Doit-on parler d’économies ? Doit-on parler de baisses de charge ? Doit-on parler de flexibilité ? 

Ce sont les questions qui nous ont bousculées pendant quelques semaines. Nous proposons un changement profond pour certaines organisations et certaines personnes, il est normal de se confronter à des réticences, mais jusqu’à quel point devons-nous aller pour promouvoir la polyactivité choisie ? Nous savons que beaucoup de dispositifs sont détournés par des entreprises pour optimiser et frauder les règles établies. Et souvent ce sont les salariés qui en paie le prix. Volontariat contraint, changements de carrières imposés, mise au placard, pressions managériales, … les exemples sont nombreux et nos membres syndicalistes connaissent bien cela.

Alors que faire ? 

Tout dispositif a ses défauts et ses contournements possibles, faut-il pour autant ne rien tenter ? Mais, entre ne rien tenter et promouvoir une flexibilité pour un employeur il y a un monde ! La question est plus complexe que cette rhétorique. Etant donné que nous sommes dans un cadre d’expérimentation nous avons décidé de mettre toutes les chances de notre côté pour convaincre les entreprises de participer, pour justement voir où cette idée peut mener mais également connaitre ses limites. Nous sommes convaincus qu’en expérimentant nous seront collectivement capables de combler des failles.

Il reste dommage d’avoir à « séduire » mais dans un système démocratique il est nécessaire de trouver des compromis pour que chacun y trouve son propre compte. Si certains n’ont pas saisi l’importance d’une alimentation saine, élevées dans des sols sains, alors nous ne pouvons pas les forcer à notre pensée. Par contre, si son oreille est adoucie par des chiffres, alors nous nous proposons de tenter de parler avec sa langue chiffrée. En tant qu’association de salarié·es et de travailleureuses indépendant·es, nous savons que le monde de l’entreprise est peut-être encore plus en retard que la société civile sur la remise en cause du capitalisme et des limites de la rationalité économique.

A qui s’adresser ? Est-ce que l’on souhaite s’adresser à Pierre Fabre ? à Total Energie ? 

Notre idée de base, rappelons-le, était de diminuer la production polluante et contribuant au non dépassement des limites planétaires. Si nous ne nous adressons pas à des salariés et donc les directions de Total Energies, d’Exxon Mobile, d’Orange, etc, à qui allons-nous nous adresser ? A des entreprises avec une RSE déjà très forte ? A des entreprises non polluantes ? 
Ici aussi la réponse n’est pas binaire et nous avons convenu de nous réunir avant toute prise de décision au moment de nouer ou non un partenariat. 

« 1 jour à la ferme et 4j chez Airbus… c’est se donner bonne conscience à moindre prix! »

Nous pourrions aller voir les entreprises et proposer directement de libérer le personnel pour un mi-temps  à la ferme. La difficulté que nous avons à concrétiser des partenariats avec les entreprises les plus engagées sur ne serait-ce qu’un jour par semaine nous fait penser que nous tomberions dans  une impasse. Nous le regrettons mais prenons acte, et faisons le choix de proposer un projet compatible avec les limites de l’économie actuelle : partons donc sur 1 jour par semaine, avec quelques personnes à la ferme pour chaque entreprise… pour commencer. ET avec l’économie de demain : soyons des milliers avec un mi-temps agricole, et contribuons réellement à renflouer le secteur en main d’œuvre tout en diminuant réellement et significativement la production dans les entreprises polluantes. 

Certain·es diront que même un mi-temps ne suffit pas et qu’il est nécessaire de se reconvertir en masse et à plein temps dans l’agriculture. Mais les faits sont têtus et finalement, très peu de personnes tentent cette fameuse reconversion, tandis que le nombre de personnes dans le tertiaire continue d’augmenter.
Aussi, face à la difficulté du métier agricole, beaucoup font vite machine arrière. Nous considérons de notre côté que la société aurait à gagner de sortir d’une binarité, et que chacun d’entre nous ait droit à un équilibre entre activités manuelles et mentales, à travailler dans différents milieux professionnels, et à alterner entre activités d’intérêts personnels et activités d’intérêts collectifs. Oui, le principe du mi-temps nous plaît.

Quelle est la limite entre du greenwashing et un réel engagement ?

Nous avons été très acerbes à l’encontre d’entreprises qui présentaient des avancées mineures voire minuscules par rapport au reste. Maintenant nous en sommes à proposer un micro changement car nous devons composer avec le monde tel qu’il est, tout en gardant notre objectif macro pour le moyen terme.

C’est notre stratégie. Sommes-nous devenus des greenwasheurs ? 

Les Ateliers Icare

(1) FAO, Rapport « Une opportunité se chiffrant à plusieurs milliards de dollar », 2021: Les politiques actuelles de soutien à l’agriculture nous détournent de l’accomplissement des ODD et des objectifs définis dans l’accord de Paris. Mais il est encore temps de réorienter le soutien au secteur agricole pour stimuler une transformation vers des systèmes alimentaires plus sains, durables, équitables et efficients.

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