Le 15 octobre 2022 nous étions invités au festival Projection Transition des Shifters à la table ronde « Transition écologique, atout ou péril pour l’emploi ? » organisée après la projection du film En Guerre de Stéphane Brizé.
Cet article est la transcription des interventions de Bruno Jougla, co-président de l’association Les ateliers Icare :
Pouvez-vous nous indiquer en deux mots si la transition écologique est un atout ou un péril pour l’emploi ?
Bruno : « Aux ateliers Icare, nous voyons la transition écologique comme une transformation profonde de notre société. Quantitativement, il est difficile de prévoir s’il y aura plus ou moins d’emplois. Mais nous notons actuellement une forte perte de sens au travail, il y aura donc certainement un gain sur le plan qualitatif. »
En tant qu’association de salariés, comment voyez-vous la transition écologique dans les différents secteurs, et son impact sur l’emploi ?
Bruno : « Il y a 20 déjà, Jacques Chirac prononçait son fameux « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». L’Accord de Paris a 7 ans. Pourtant, l’Autorité Environnementale indique, en 2022, que la France n’a « toujours pas amorcé sa transition écologique ». Alors qu’est-ce qui cloche ?
Notre premier message : la transition écologique doit s’attaquer à la racine du problème : la société de consommation et son économie productiviste.
Aujourd’hui la transition écologique est souvent limitée au fait de décarboner l’économie. Mais que fait-on du problème de la consommation des ressources, de celui des déchets, de la perte de la biodiversité ? Prenons le secteur de la chaussure. Il n’y a pas de sujet « décarbonation » du secteur de la chaussure. Ce secteur est-il pour autant soutenable ? Les Français achètent chaque année 400 millions de chaussures. Plus de cinq par personne ! Et ils en jettent 300 millions. Le sujet des déchets est-il une priorité pour le secteur ? Non, les discussions en cours traitent de l’aménagement de la période des soldes et de la concurrence avec les boutiques en ligne. Si le secteur pouvait vendre 500 millions de chaussures, ils le feraient ! C’est la logique du modèle en place.
Notre deuxième message : La transition écologique doit être davantage désirable, par la recherche de progrès social.
Nous avons vu la transition écologique avait du mal à se lancer. Si l’on s’attaque au productivisme, ça ne sont plus un ou deux secteurs qui sont pointés du doigt, mais on s’adresse à tout le monde. Notre manière actuelle de travailler, où nous mettons tout en œuvre pour produire et vendre le plus possible, est énergivore, sur-consommatrice de ressources, très polluante. C’est une manière de travailler qui ne correspond plus au besoin de notre société, elle est donc complètement dépassée, archaïque.
Donc dans cette transition vers une société soutenable, créons aussi cet espace de concertation, d’expérimentation, pour faire littéralement progresser les notions du travail et de l’emploi. Pour retrouver du sens. Pour ne plus concentrer l’emploi dans les métropoles, et redynamiser les villages. Pour mieux payer les métiers essentiels, car aucune transition ne s’amorcera réellement tant qu’un spécialiste en intelligence artificielle ou en cyber-sécurité touche plus de 100000€ de salaire annuel, alors que les producteurs en agriculture paysanne sont nombreux à ne même pas se donner un SMIC…
La question de l’emploi n’est donc pas un sujet de transition écologique, mais un enjeu de transition réellement écologique et sociale. »
Quelles sont vos activités au sein de l’association sur la thématique de l’emploi ?
Bruno : « L’association les ateliers Icare rassemble des salariés de différents secteurs qui veulent réconcilier le travail et l’écologie. En dénonçant d’une part ce modèle productiviste, que nous avons montré destructeur. Mais nous voulons également montrer qu’il peut exister des alternatives de travail désirables. A travers les ateliers nous voulons expérimenter des nouveaux projets, telles que la thématique de la poly-activité, ou participer au développement de secteurs porteurs d’espoir, comme les low-tech ou la filière de chanvre. Rejoignez-nous ! »